VII
AUX POSTES DE COMBATS
Le capitaine de vaisseau Valentine Keen escalada péniblement le pont qui gîtait fortement en rentrant les épaules pour se protéger du vent. A cette époque de l’année, songeait-il, la Méditerranée était capable de changer en un clin d’œil. Le ciel était obscurci de gros nuages joufflus, la mer avait perdu toutes ses nuances bleu sombre.
Il commença par observer l’horizon brouillé, les rangs pressés de vagues courtes couronnées de moutons blancs. Quelques gros grains étaient tombés pendant la nuit et il avait fallu rappeler tous les hommes disponibles pour récolter un peu d’eau de pluie dans des seaux de toile, dans la plus petite baille. On en avait servi à tout l’équipage un grand verre, amélioré par une ration de rhum. Voilà qui vous redonnait du cœur à l’ouvrage.
Le pont s’éleva une fois de plus : l’Hypérion en effet serrait le vent d’aussi près qu’on pouvait l’oser, les huniers ferlés dégoulinaient d’embruns. Les autres vaisseaux avaient pris poste sur son arrière.
Comme l’avait fait remarquer Isaac Penhaligon, le maître pilote, il était difficile de louvoyer pour attendre Herrick avec ce vent qui était repassé au nordet, sans y ajouter encore la peine de virer de bord et de revirer, quart après quart. S’ils se laissaient entraîner trop loin dans l’ouest, il leur deviendrait pratiquement impossible de remettre le cap sur Toulon, au cas où l’ennemi tenterait d’y rentrer.
Keen revoyait la carte dans sa tête. Ils étaient arrivés à ce point, une croix, l’intersection de quelques relèvements de terre et de la méridienne. Avec ce manque de visibilité, ils pouvaient tout aussi bien se trouver à plusieurs milles de la route estimée.
Il s’approcha de la lisse de dunette et examina le pont principal. Comme de coutume, les hommes s’y activaient en dépit du mauvais temps. Trigge, le maître voilier, avait envahi les lieux avec ses aides. Alênes et paumelles s’activaient dans tous les sens, comme la mécanique d’un moulin. Ils réparaient les voiles de gros temps que l’on avait remontées des soutes.
Trigge avait suffisamment de bouteille pour savoir que, s’ils devaient passer en Atlantique à la recherche de l’ennemi, le moindre bout de toile leur serait utile.
Et Sheargold le commis, le visage sévère, le sourcil froncé comme en toutes circonstances, surveillait quelques tonneaux de bœuf salé que l’on hissait par un autre panneau. Keen n’enviait guère les gens de son espèce. Sheargold devait prévoir chaque lieue, chaque retard ou contrordre soudain qui pouvait les expédier dans la direction opposée sans qu’ils eussent eu le temps de refaire les pleins.
Rares étaient ceux qui avaient jamais manifesté un peu de reconnaissance à Sheargold. Dans l’entrepont, l’opinion générale était que la plupart des commis se retiraient après avoir fait fortune, une fortune acquise au détriment des matelots et de leurs maigres rations.
Le major Adams se trouvait tout à l’avant, le corps incliné pour lutter contre la gîte. Il surveillait une escouade de fusiliers à l’exercice. Les tuniques écarlates et les baudriers blancs tranchaient sur la lumière lugubre qui baignait la scène.
Il entendait le bosco, Sam Lintott, qui discutait de leur nouveau canot avec l’un de ses adjoints. Celui-ci n’était autre que le dénommé Dacie, un homme au visage particulièrement ingrat. On avait raconté à Keen la part qu’il avait prise à l’opération contre le galion espagnol. Et, à le voir, il croyait volontiers ce qu’on lui avait dit. Avec son bandeau sur l’œil, son épaule de guingois, Dacie était à faire peur.
Le lieutenant de vaisseau Parris s’approcha et vint le saluer.
— Permission de faire l’école à feu sur la dunette dans l’après-midi, commandant ?
Keen approuva d’un signe de tête.
— Ils ne vont pas vous dire merci, monsieur Parris, mais je trouve que c’est une bonne idée.
Parris tourna son regard vers la mer.
— Croyez-vous que nous allons rencontrer les Français, commandant ?
Keen le fixa dans les yeux. Cet officier était visiblement ouvert et très à l’aise avec les matelots, mais il y avait autre chose chez lui, même au cours d’une simple conversation. Il avait envie d’un commandement ? Keen ne savait pas pourquoi il avait perdu le précédent. Il avait bien entendu parler de la haine que lui manifestait Haven. Peut-être avait-il déjà croisé le fer avec un officier supérieur. Il répondit enfin :
— Sir Richard est partagé entre la nécessité de surveiller les approches de Toulon et l’hypothèse assez plausible de devoir renforcer la flotte.
Il voyait encore Bolitho dans sa chambre, occupé à dicter des lettres à Yovell ou à son adjoint, expliquant au jeune Jenour ce que l’on attendrait de lui s’ils rencontraient l’ennemi. Keen avait déjà discuté avec lui des différents cas de figure. Bolitho avait alors paru préoccupé.
— Je n’ai pas le temps de convoquer tous mes commandants à bord. Je prie seulement le ciel qu’ils me connaissent suffisamment pour réagir convenablement lorsque j’en donnerai l’ordre.
Je n’ai pas le temps. C’était une phrase sinistre. Mais Bolitho semblait s’y résigner, comme si la bataille était inévitable.
— Je me demande si nous aurons l’occasion de revoir le vicomte Somervell, reprit Parris.
Keen se tourna vers lui.
— En quoi cela vous regarde-t-il ? – puis, s’adoucissant un peu :
Je pense, continua-t-il, qu’il est préférable qu’il ne s’approche pas trop de nous.
Parris hocha la tête.
— Oui. Je… je suis désolé d’avoir abordé ce sujet, commandant – et, lisant dans les yeux de Keen à quel point il était sceptique : Cela n’a rien à voir avec l’implication de Sir Richard.
Keen détourna les yeux.
— J’espère que c’est bien le cas.
La curiosité de Parris l’exaspérait. Et l’exaspérait encore davantage sa propre attitude, ce réflexe immédiat de protection. Implication. C’était sans doute le mot que tous employaient.
Keen se dirigea vers le bord au vent et essaya de se vider la tête. Il emprunta sa lunette à l’aspirant de quart et la pointa sur les vaisseaux qui suivaient dans les eaux.
Les trois soixante-quatorze réussissaient vaille que vaille à rester à poste. Le quatrième, Le Capricieux de Merrye, était à peine visible au milieu des embruns et de l’écume soufflée par le vent. Il se trouvait loin derrière les autres, le travail continuait à son bord pour remplacer le mât de hune emporté dans un grain avant qu’ils eussent eu le temps de réduire la toile.
Il se mit à sourire. La responsabilité d’un commandant ne connaissait nulle trêve. Celui que tous les autres considéraient comme un roi céleste n’en arpentait pas moins sa chambre en s’inquiétant de tout.
Une vigie héla :
— Ohé, du pont ! Signal du Tybalt !
Keen se tourna vers l’aspirant :
— Grimpez là-haut, monsieur Furnival. Le Tybalt doit avoir des nouvelles.
Un peu plus tard, Keen redescendit pour aller rendre compte à Bolitho.
— Le Tybalt aperçoit le reste de l’escadre dans l’est, sir Richard.
Bolitho jeta un dernier coup d’œil aux papiers répandus sur la table et lui fit un sourire. Il avait l’air fatigué, sa voix était lasse.
— Voilà une bonne nouvelle, Val – et, lui désignant un siège :
J’aurais aimé vous demander de vous joindre à nous, mais votre présence est nécessaire sur le pont tant que les bâtiments ne se sont pas rapprochés.
Après qu’il se fut retiré, Sir Piers Blachford lui dit :
— Un homme sympathique, je l’aime bien.
Il était à moitié assis dans l’un des fauteuils de Bolitho. La posture du héron.
Yovell ramassa ses lettres et les notes qu’il joindrait aux différentes copies.
Ozzard arriva pour ramasser les tasses à café vides, tandis qu’Allday, qui se tenait derrière la porte, astiquait consciencieusement le superbe sabre d’honneur. Celui dont avait fait présent à Bolitho la population de Falmouth en hommage à ses exploits dans cette mer où il se trouvait maintenant, exploits couronnés par le combat d’Aboukir.
Bolitho leva les yeux.
— Merci, Ozzard.
Blachford tapa du poing dans sa paume :
— Mais bien sûr, je m’en souviens à présent. Ozzard n’est pas un patronyme très répandu, n’est-ce pas ?
Le chiffon d’Allday s’arrêta sur la lame.
Blachford hocha la tête, tout lui revenait.
— C’est votre écrivain et toutes ces lettres qu’il a emportées pour les copier, voilà ce qui m’a remis la chose en mémoire. Dans le temps, ma famille utilisait les services d’un écrivain, du côté des docks de Londres. Chose inhabituelle.
Bolitho examinait la lettre qu’il devrait terminer lorsque les autres l’auraient laissé seul. Il voulait partager ce qu’il ressentait avec Catherine, lui dire à quel point il était inquiet de ce qui risquait d’arriver. Il avait l’impression de lui parler, comme dans ces moments où, alors qu’ils étaient allongés côte à côte, elle l’encourageait à s’ouvrir à elle afin de lui faire partager ces pans entiers de son existence qui restaient pour elle un mystère.
— Je ne lui ai jamais posé la question, répondit-il.
Mais Blachford n’avait pas entendu.
— Je ne sais comment j’ai bien pu faire pour oublier une histoire pareille, une affaire à laquelle j’ai été personnellement mêlé. C’est le crime le plus abominable qu’il m’ait été donné de constater, cela se passait presque en face de l’échoppe de l’écrivain. Mais bon sang, comment ai-je bien pu l’oublier ?
On entendit un fracas de vaisselle brisée dans l’office, et Bolitho fit le geste de se lever. Mais Allday lui dit précipitamment :
— J’y vais. Il a dû tomber.
Blachford reprit le livre qu’il avait commencé à lire et glissa négligemment :
— Pas étonnant, avec ces mouvements à vous donner la nausée.
Bolitho le regarda, mais rien n’apparaissait sur ce visage allongé qui pût suggérer autre chose qu’un intérêt passager. Il avait pourtant vu la tête que faisait Allday, l’avertissement muet qu’il lui avait lancé.
Une coïncidence ? C’était tellement fréquent. Bolitho réfléchit une seconde : ai-je vraiment envie d’en savoir davantage ?
Il se leva.
— Je vais aller faire ma promenade.
Mais, lorsqu’il quitta sa chambre, il sentit que Blachford le suivait des yeux.
Il leur fallut attendre jusqu’au lendemain, pas moins, pour voir les trois vaisseaux de Herrick arriver à portée de signaux. Bolitho regardait les pavillons s’envoler ; Jenour se montrait étonnamment dur avec les aspirants, comme s’il sentait de quelle humeur était son amiral.
Accroché à un hauban, Bolitho examinait les nouveaux arrivants, surpris de les voir, eux et ses propres soixante-quatorze, mettre en panne un peu en désordre après avoir réduit la toile, comme si c’était eux et non leurs commandants qui attendaient des ordres.
Le temps qui ne s’était pas amélioré avait transformé pendant la nuit la mer en une succession de lames bien franches. Bolitho protégea de la main son œil malade. Sa peau était humide et brûlante, comme lorsqu’il avait été pris de cette fièvre à laquelle il devait d’avoir rencontré Catherine.
Keen traversa le pont glissant et s’approcha de lui, la lunette passée sous le bras pour protéger l’optique des embruns salés.
— Le vent reste stable au nordet, sir Richard.
— Je sais.
Il essayait de ne pas entendre le bruit des pompes. Le vieux vaisseau souffrait beaucoup, les pompes étaient restées armées tout au long des quarts de nuit. Grâce à Dieu, Keen connaissait son métier et usait pleinement de son autorité. A sa place, Haven aurait déjà fait fouetter ses marins malchanceux, songeait-il amèrement. Il ne s’était guère passé une heure sans que l’on dût rappeler l’équipage sur le pont pour renvoyer ou rentrer de la toile. Manœuvrer les pompes, saisir des apparaux qui partaient dans tous les sens avec ces mouvements désagréables – il fallait autant de patience que de discipline pour empêcher les hommes de se sauter à la gorge. Et les officiers n’étaient pas à l’abri de tels comportements. Les altercations prenaient des proportions démesurées lorsqu’un lieutenant de vaisseau avait quelques minutes de retard lors d’une relève de quart. Il avait entendu Keen reprendre l’un d’eux et lui rappeler de rester digne de son uniforme. Rien n’était facile pour personne.
Bolitho poursuivit :
— Si le temps empire, nous ne pourrons pas mettre les canots à la mer.
Il examinait ses bâtiments éparpillés. On attendait qu’il se montrât le chef. Il aperçut le Benbow qui s’inclinait fortement en venant dans le vent, voiles battantes qui faseyaient et luisaient dans ces demi-lumières comme des plaques de cuirasse. Herrick se préparait à venir le voir, en tête à tête. Cela lui ressemblait trop.
Mais son canot dut faire trois tentatives avant que le brigadier parvînt à crocher dans le porte-hauban.
Dans la chambre, les bruits étaient étouffés. Seule la ligne d’horizon penchée, brouillée par les vitres épaisses des fenêtres de poupe, semblait danser, comme pour projeter dans le vide les vaisseaux malmenés.
Herrick alla droit au fait.
— J’aimerais savoir ce que vous avez l’intention de faire. D’un signe de tête accompagné d’un « Non, merci ! » il refusa l’offre d’Ozzard qui arrivait avec son plateau. Puis, revenant à son sujet :
— Je n’ai pas envie de rester trop longtemps ici, hors de mon vaisseau amiral. Je n’aime pas du tout ça, ajouta-t-il avec un coup d’œil aux embruns qui dégoulinaient sur les vitres.
— Pas de nouvelles de La Mouette, Thomas ? répondit Bolitho — et, comme Herrick secouait la tête : J’ai envoyé la Phèdre à sa recherche.
Herrick se pencha en avant.
— Le commandant Sinclair sait ce qu’il a à faire. Il va retrouver l’escadre.
— J’aurai besoin de tous les bâtiments qui peuvent me servir en éclairage. Ce n’était pas une critique.
Herrick se détendit un peu.
— Je crois que nous devrions nous diriger vers Toulon. A ce moment-là, nous en saurons davantage, d’une manière ou d’une autre.
Bolitho posa les mains sur la table. Il sentait le bâtiment trembler autour de lui, le safran résistait à la barre et au vent.
— Thomas, si l’ennemi a l’intention de revenir en Méditerranée, nous risquons de perdre le contact avec lui, tout aussi aisément qu’il a échappé à Nelson en passant dans l’Atlantique — puis, éclaircissant sa pensée : J’ai l’intention de me diriger vers Gibraltar. Si nous n’avons toujours pas de nouvelles, nous franchirons le détroit pour rallier la flotte. Je ne vois pas d’autre solution.
Herrick le regardait, l’air têtu.
— Qu’est-ce qui nous empêche de rester ici à attendre ? Personne ne nous en blâmera. Mais on nous tombera dessus si nous manquons l’ennemi alors qu’il essaie de rentrer à Toulon.
— Je me blâmerai moi-même, Thomas. Ma tête me dit une chose, mon instinct m’en dicte une autre.
Herrick tendit l’oreille aux pompes.
— C’est si grave que cela ?
— Il peut encore étaler bien pis.
— J’ai renvoyé L’Absolu au port, il était dans un état lamentable.
— Mais j’en aurais eu l’usage, répliqua Bolitho, lamentable ou pas.
Herrick se leva et s’approcha des fenêtres.
— Je repars. Je ne veux pas vous manquer de respect, mais mon canot va avoir du mal à me ramener.
Bolitho se retourna.
— Écoutez-moi, Thomas. Je me moque de ce que vous pouvez bien penser de ma vie privée, encore qu’elle ne le soit plus tant que cela, ce me semble. J’ai besoin de vous, car nous allons nous battre – et, posant sa main sur son cœur : Je le sais.
Herrick le regardait comme s’il flairait un piège.
— Je suis votre adjoint et je serai prêt si nous devons combattre. Mais je persiste à penser que vous vous égarez.
— Mais vous ne voulez rien entendre, mon vieux ! répliqua Bolitho d’une voix pleine de désespoir. Je ne vous donne pas d’ordre, je vous demande votre aide !
Il surprit l’air étonné de Herrick lorsqu’il s’exclama enfin :
— Au nom du ciel, Thomas, faut-il que je vous supplie ? Je suis en train de devenir aveugle ! Ou alors, ce sujet croustillant n’est pas encore parvenu à vos oreilles ?
Herrick avait du mal à déglutir :
— Je n’avais pas la moindre idée…
Bolitho détourna son regard avec un haussement d’épaules.
— Si cela ne vous dérange pas, je vous demande de le garder pour vous – il fit brusquement volte-face et, d’un ton plus dur : Mais si je tombe, poursuivit-il, vous serez responsable de ces hommes, vous devrez leur faire accomplir des miracles si nécessaire. Bon, m’entendez-vous, à présent ?
Quelqu’un frappa à la porte et Bolitho cria :
— Oui !
La colère déformait sa voix.
Keen entra sans regarder personne.
— Signal de la Phèdre, amiral, répété par le Tybalt.
Herrick lui demanda précipitamment :
— Des nouvelles de La Mouette ?
Mais Keen ne regardait que Bolitho. Il devinait ce qui venait de se passer et souhaitait le partager avec lui. Il répondit sèchement :
— Coulée.
Bolitho croisa son regard, il lui était reconnaissant d’avoir interrompu cette scène. Cette fois-ci, il avait été à deux doigts de lâcher prise.
— D’autres nouvelles, Val ?
— Une escadre ennemie s’est mise en route, sir Richard. Elle a mis cap à l’ouest.
— Combien de vaisseaux ? demanda Herrick.
Keen persistait à éviter son regard.
— La Phèdre n’a pas encore fait son rapport. Elle a subi des avaries, elle a été prise en chasse – il avança d’un pas vers lui, puis laissa tomber les bras. Ce sont des espagnols, sir Richard. Des bâtiments de ligne, pour ce que nous en savons.
Bolitho passa la main dans ses cheveux et lui demanda :
— De combien de vaisseaux Nelson dispose-t-il ?
Keen commença par le fixer sans rien dire, puis son regard s’éclaira lorsqu’il comprit enfin.
— Aux dernières nouvelles, deux douzaines de bâtiments de ligne, sir Richard. On pense que les Français et leurs alliés espagnols en alignent plus d’une trentaine, parmi lesquels les plus gros premier rang jamais lancés.
Bolitho écoutait le mugissement du vent. Diviser pour vaincre. Villeneuve avait magnifiquement monté son affaire. Et maintenant, avec cette nouvelle formation que la Phèdre avait découverte par hasard, la flotte de Nelson allait se faire submerger, si débordée par le nombre que cela ne lui laissait guère d’espoir. Il conclut simplement :
— S’ils se glissent dans le détroit, nous ne pourrons jamais les rattraper à temps – puis, se tournant vers Keen : Signalez à la Phèdre de se rapprocher de l’amiral.
Comme il s’apprêtait à partir, il lui prit le bras :
— Et lorsque ces vaillants petits bâtiments seront là, signalez-leur simplement : « Bien joué. »
Lorsque Keen fut parti, Herrick dit à Bolitho d’un ton soudainement très déterminé :
— Je suis paré. Dites-moi ce que j’ai à faire.
Bolitho contemplait la mer à travers les fenêtres pleines de sel.
— Le minimum de signaux, Thomas. Nous en avons déjà parlé.
— Mais… votre vue ?
Il était pitoyable.
— Ah non, Thomas, plus de ça ! Cette jolie Phèdre m’a rendu la vue. Mais écoutez-moi bien. Si ma marque est abattue, le Benbow prendra ma place.
— Compris, fit Herrick avec un hochement de tête.
— Faites ce que vous dicte votre conscience, mon vieil ami, et ensemble, nous vaincrons !
Puis il se retourna de nouveau pour contempler les vagues et resta immobile jusqu’à ce qu’il eût entendu la porte se refermer.